11.4.24

9.4.24

En faveur de la non mixité


Et plus je décortique mon rapport aux femmes, plus je suis en colère contre les hommes. Parce qu’il y a toute cette partie de ma construction qui s’est faite sur fond de misogynie et de « Je ne suis pas comme les autres femmes », qui s’est formée à cause des hommes, à leur contact, et sous leurs encouragements. Et je leur en veux de m’avoir volé ces années de sororité, d’amour des femmes et de la femme que je suis, parce que ça ne les arrangeait pas. Bien sûr, ce n’était pas conscient de la part des individus hommes qui m’ont poussée là-dedans, c’est le système-homme qui est à l’origine de tout ça, mais j’en veux à ceux qui y participent sans jamais rien remettre en question, pour qui il est normal de mépriser les femmes par défaut, de leur reprocher leur féminité, de les trouver naturellement plus cons et moins intéressantes, et de ne leur reconnaître de valeur que dans leur sexualité et leur rôle de mère.


Comme beaucoup d’autres personnes ayant nourri cette réflexion depuis quelques années, je suis moi aussi convaincue que la majorité des hommes hétérosexuels n’aiment pas les femmes. Ils sont malheureusement attirés par elles (a priori), mais leur compagnie ne les intéressent pas. Ils n’éprouvent pas de plaisir à passer du temps avec les femmes en dehors du cadre de la séduction et de la sexualité, ou de la vie de foyer et de ses conforts. Ils n’aiment pas parler avec elles, sortir avec elles, jouer avec elles, ils ne veulent partager leur vie sociale qu’avec des hommes, et rentrer pour baiser des meufs, éventuellement.


En même temps, c’est normal, ils grandissent avec la pression d’être toujours hommes, jamais femmes, et on leur répète à longueur de croissance que tout ce qui est étiqueté « fille » ou « femme », c’est de la merde, et qu’ils doivent s’en tenir éloignés et s’en moquer. Même nous montrer de l’affection, c’est mal vu, ils se font traiter de canards s’ils privilégient leur meuf à leurs potes, ne serait-ce que pour un dimanche après-midi. Y a qu’à la Saint-Valentin qu’ils sortent le grand jeu et le spray Axe collector des soirs de fête, parce que c’est comme la confession, ça efface tous les péchés de l’année. Si tu te foires pas le 14 février, tu peux surfer sur la vague jusqu’à son anniversaire, et prolonger le tir jusqu’à celui de votre relation - si t’as la décence de t’en souvenir. Mais attention, il faut bien veiller à se montrer blasé et extrêmement saoulé de devoir faire tous ces efforts quand on en parle à ses potes, sinon c’est cuit.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 96-97

30.3.24

Fais attention


Faire attention ? Mais je ne fais que ça, attention ! Quand je suis dans un espace public, tous mes sens sont en alerte, et il ne se passe pas une seule seconde où mon attention se relâche. Et quand je suis bien à l’abri chez moi, je fais attention à ce que j’écris sur internet, je vérifie que ma porte est bien verrouillée, et je me garde d’allumer les voisins en me promenant nue devant les fenêtres. 


Je fais attention à mon verre, je fais attention à la façon dont je réponds aux mecs dans la rue , je fais attention aux rues que j’emprunte, je fais attention à qui se trouve derrière moi, sur le trottoir d’en face, sous le porche de l’immeuble, je fais attention à bien refermer la porte d’entrée derrière moi avant de monter dans l’immeuble, quand je me sens suivie, je fais attention à ne pas allumer la lumière de mon appartement tout de suite afin qu’on ne puisse pas repérer le changement par la fenêtre et savoir à quel étage je me trouve, je fais attention à mes tenues, je fais attention à la personne à côté de laquelle je m’assois dans les transports, je fais attention à ne pas mettre mes écouteurs la nuit, je fais attention aux informations que je donne, je fais attention quand un livreur sonne à ma porte, je fais attention à être polie mais à ouvrir dans une tenue peu aguichante, je fais attention quand quelqu’un se présente sous prétexte de venir inspecter les bouches d’aération chez moi ou quand je fais appel à un plombier, je fais attention à mes affaires, je fais attention à mon téléphone, je fais attention à bien me coller contre une paroi dans le métro pour qu’on ne puisse pas me toucher par-derrière, je fais attention pour les autres femmes aussi, je fais attention à tous les comportements suspects, je fais attention à repérer les issues de secours, je fais attention à qui pourrait me venir en aide en cas de souci, je fais attention à bien communiquer mes limites, mes envies et mes désirs, pour éviter les malentendus.


Ça reste en permanence en toile de fond : je souris, je ris avec mes amis, je fais la fête, je me promène, j’apprécie la vie, et une toute petite voix marmonne sans cesse « attention, attention, attention » tout au long de mes journées. Et tout ça ne met pas à l’abri de quoique ce soit. Malgré tous ces comportements, je sais que s’il doit m’arriver quelque chose, ça arrivera. Et qu’on me demandera si j’ai fait attention.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 85-86

Une femme parle (extrait)


Comme autour de nous deux l’air est divinatoire !

Nous sommes imprégnés d’un secret merveilleux,

Nous sommes ceux pour qui nul mal n’est périlleux, 

Nous vivons une grande et facile victoire.


Nous sommes l’un pour l’autre en héroïque honneur,

En tous tes mouvements je suis essentielle,

Quand je ne te vois pas, ta présence est réelle,

Et de nous chaque chose est le plus grand bonheur.


C’est à cause de toi qu’un matin je suis née,

Et seul, mon coeur puissant t’a pleinement conçu,

Que je t’ai possédé, toi que je n’ai pas eu,

Ô mon uniquement amant, que je me suis donnée ! 


(…)


Nous sommes à nous deux toute l’immensité

Rien n’est si beau que toi quand je vois que tu m’aimes,

Nous sommes un amour au-dessus de nous-mêmes,

Indicible, immuable, extrême, innocenté.


Qui connaîtra jamais la muette musique

Emanant de nous deux quand nous nous regardons, 

Et même détournés, figés, sans abandons,

Ah ! notre grand plaisir idéal et physique.



Jane Catulle Mendès, Le Coeur magnifique, 1908



Rosemonde Gérard, Les Pipeaux, 1889

22.3.24

Non est un mot sans valeur


A propos de jeunes filles harcelées par des hommes adultes dans un parc à Paris :


Les mec sont venus leur parler alors qu’elles étaient assises dans l’herbe. Elles ont très vite fait part de leur envie de rester seules et tranquilles, mais il ne les ont pas écoutées. Toujours en larmes, elles me disent qu’ils ont demandé leur âge (15 ans…), le nom de leur lycée, où elles habitaient, et qu’ils refusaient de partir. Plus elles leur demandaient de les laisser, plus ils se rapprochaient d’elles. Elles me répètent dix fois : « On leur a dit de nous laisser et ils voulaient pas, ils se rapprochaient alors qu’on disait non, ils voulaient pas nous laisser tranquilles ! » Et plus elles le répètent, plus elles pleurent.


Et j’ai compris. J’ai compris leurs larmes, j’ai compris leur traumatisme. Parce que au-delà même de la situation terrorisante, alimentée par tous les scénarios catastrophes qu’on peut imaginer, il y a eu ce terrible constat : leur « non » n’avait aucune valeur. On leur a toujours appris que si elles devaient se retrouver dans une situation qui ne les met pas mal à l’aise, il leur fallait l’exprimer clairement, demander qu’on les laisse tranquilles, dire non fermement, et là, elles ont appliqué la leçon à la lettre, encore et encore, en pleurant, avec une attitude qui manifestait clairement l’absence totale et absolue de consentement, et ça n’a pas fonctionné. Ça ne les as pas éloignés. Pire encore, ils se sont rapprochés. Ils ont insisté.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 79-80

20.3.24

La nuit ne nous appartient pas  


On nous refuse des libertés et des droits fondamentaux, on n’a pas le droit aux mêmes privilèges, et en plus on s’étonne quand on s’en offusque et on nous accuse d’être naïves et d’ignorer la nature humaine.


Par contre, quand nous mettons le mot « privilège » dans nos discours pour parler de déséquilibre, ça ne va pas non plus. Manquerait plus qu’on admette qu’un des deux camps s’en tire mieux que l’autre ! La femme est le sexe faible, elle est inférieure, mais attention, si elle dénonce son statut, on ne manquera pas de lui rappeler qu’elle exagère, qu’elle se victimise, qu’elle déteste les hommes et qu’elle fait des caprices. Non, tu ne pourras pas jouir des mêmes privilèges que moi, et non, tu n’auras pas le droit de t’en plaindre non plus. Tu resteras docile et humble, tu regarderas tes pieds et tu diras merci pour le droit de vote et pour ton chéquier, et en plus eh, ça pourrait être pire, tu pourrais vivre en Arabie saoudite alors viens pas chialer ! Et de toute façon, pourquoi tu veux marcher dehors la nuit ? Ça te sert à quoi ? T’en as besoin, vraiment ? Non, bah alors fais pas chier, c’est fou ça, on vous donne la main vous voulez le bras, on peut jamais gagner avec vous ! 



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 65

18.3.24

La rue est à eux


Mais okay, d’accord, si vous ne voulez pas céder de terrain, pas abandonner votre statut d’animal, je ne vous forcerai pas. Dans ce cas, mettons-nous simplement sur un pied d’égalité. Vous voulez être des bêtes sauvages, ressembler aux lions et aux gorilles ? Très bien, mais dans ce cas, laissez-nous en faire autant. Si nous ne sommes que des animaux, si nous n’avons que des réflexes très naturels, si la violence et l’attaque sont dans nos gênes, alors nous imiterons nous aussi les femelles du règne animal.


A nous les décapitations et le cannibalisme post-coïtal, à nous la chasse, la prise en main, à nous la quête de fécondation et le rejet du mâle une fois son office accompli - et quelques secondes, pas plus, ensuite oust, du balai. Vous voulez être lion ? Je serai veuve noire, mante religieuse, lionne endurcie. N’oubliez pas non plus qui déboule quelques années après l’éjaculation pour prendre la place du patriarche. Nous irons arpenter la savane et nous reviendrons avec nos fils et nos filles pour qu’ils vous terrassent, nous élèverons ceux et celles qui causeront votre perte et mettrons fin à votre règne. C’est à nous que revient cette tâche, après tout, nous sommes les mères, celles qui élèvent, qui nourrissent, qui inculquent les valeurs importantes et les bonnes manières. C’est pas ce que vous réclamez depuis toujours ? Et puisque cette responsabilité est entre nos mains, c’est à nous aussi de décider ce qu’on transmet.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 61-62

20.2.24

Marie Losier, Elina et les paillettes, 2018

En libre-service dans la rue


Je me bats sans arrêt entre le besoin d’être bonne, d’être belle, d’être séduisante, et la hantise d’être perçue comme telle par les autres, les gens dans la rue, les hommes qui hantent les trottoirs jour et nuit, sans jamais trouver le repos. Ils traînent leurs chaînes autour de moi et hululent et pullulent du soir au matin, du matin au soir, sans cesse la même rengaine, coincés dans une boucle éternelle, et personne ne parvient à briser le sortilège. Je veux aimer mon corps, m’y sentir bien, mais plus je suis digne, plus je suis fière, plus je les titille et ils ressentent l’envie de me remettre à la place à laquelle ils estiment que je devrais être. Je dois être matée, dans les deux sens du terme. Et je rejette l’un aussi violemment que l’autre. Ne me regardez pas, sauf si c’est pour me craindre, m’admirer respectueusement, ou vous prosterner sur mon chemin. C’est pourtant pas compliqué.


Ça bien fait longtemps que, quand on est pas dans le camp des dominants de naissance, on vit comme en pleine pandémie. Ça bien longtemps qu’on observe le couvre-feu, qu’on évite certains lieux, qu’on fait attention à ce qu’on porte, à ce qu’on touche, à qui on frôle dans le métro. Et même sous mon masque, même sous mon écharpe, même emmitouflée dans mon manteau, on m’arrête encore pour me demander « Comment je fais si je veux voir ton sourire ? » et j’ai envie de détruire, d’éventrer, de tout brûler. A la place je serre la mâchoire, je réponds « Va te jeter dans le canal, connard ! » et je trace ma route en priant pour ne pas avoir déclenché son mode agresseur et me prendre une patate dans la tempe. 


Comment apprécier pleinement le moment présent quand il est en permanence interrompu par des regards, des remarques, des intrusions dans mon espace personnel ? Je sors le sourire aux lèvres, je m’émerveille devant les corneilles, les rayons du soleil, les petits messages laissés sur les murs de la ville, et immanquablement je bute, je trébuche, j’entre en collision avec le regard dégoulinant d’un conquérant à la bite molle qui le démange.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 55-57

10.2.24

 « La moitié du monde » - Coline Serreau


Nous ne sommes pas une minorité sympathique comme les Juif·ve·s, les homosexuel·le·s, ou bien en France, les Arabes et les Noir·e·s. Nous sommes plus de la moitié du monde. Nous sommes celles qui fabriquons dans nos entrailles les biens les plus précieux du monde : les enfants, la jeunesse, l’avenir de l’humanité. Et nos corps ne fabriquent pas que de la viande, ils fabriquent des cerveaux, de la chaire pensante et vivante. 


Et pourtant, tous les jours sur cette planète, on nous disqualifie, on nous considère inférieures, on nous colle sous un plafond de verre, on nous sous-paye, on nous exploite gratuitement à la maison, on nous insulte, on nous humilie, on nous utilise, on nous vend, on nous séquestre, on nous bat, on nous mutile, on nous torture, on nous viole, pour finalement, un jour sur deux nous assassiner. Tous les jours, nous subissons la complicité passive des institutions judiciaires et policières, avec les tortionnaires, même si cela change un peu - si peu.


Si ce traitement était infligé, ne serait-ce qu’une semaine, à l’une des minorités sympathiques citées plus haut, la France serait à feu et à sang, debout dans la rue, à hurler son indignation - et elle aurait raison. Mais pour les femmes, pas d’indignation, rien. Ça ne vaut même pas une manif. Quand c’est un homme, c’est un crime ; quand c’est une femme, c’est la tradition. Et elles subissent cela depuis la nuit des temps.



On a persuadé les femmes qu’elles étaient illégitimes à peu près partout en dehors de la sphère familiale, et souvent elles l’ont cru. Par exemple, si elles doivent parler en public, les femmes commencent presque toujours par s’excuser d’être là. C’est le syndrome de l’imposteur. Mais non seulement, nous ne sommes pas des imposteuses, mais nous sommes les plus compétentes pour diriger les affaires du monde. 


Nous savons anticiper et organiser. Nous pouvons faire trois, quatre, dix choses en même temps. Nous sommes multi-tâches. Nous savons étudier, penser, analyser, tout en voyant clairement les problèmes concrets. Nous sommes rapides. Nous savons négocier. Notre rôle dans la famille nous a appris à faire tout ça, et c’est devenu notre culture, mais aussi notre compétence. Une adaptabilité et réactivité hors pair aux crises, et une éthique pour la collectivité. Le bonheur de notre enfant nous importe autant ou plus que le notre. Entre la banque et la santé, nous choisirons toujours ce qui sera bon pour nos enfants, pour l’humanité.


source


Harry Potter and the Half-Blood Prince, 2009

1.2.24