10.11.22

De la magie flotte autour de nos modestes carcasses. De cela, beaucoup ont l’intuition. Naomi Wolf (dans The Beauty Myth) parle de ce rayonnement que chacun peut observer chez les autres : « Certains le verront dans la sexualité d’un corps ; d’autres, dans la vulnérabilité, ou dans l’humour. Il émane souvent du visage de quelqu’un qui raconte une histoire, ou qui écoute intensément. Beaucoup ont remarqué comment l’acte de création semble illuminer les gens, et ont noté que ce rayonnement enveloppe la plupart des enfants — ceux à qui on n’a pas encore dit qu’ils n’étaient pas beaux. » Et, pourtant, cette aura n’a pas de réalité officielle : la société « en limite sévèrement la description ». On l’accorde aux mariées et aux jeunes ou aux futures mères, c’est-à-dire uniquement à celles « qui font don de leur corps à un homme ou à un enfant », et on la refuse aux hommes. Cette clandestinité permet à l’industrie cosmétique de vendre aux femmes « une imitation de la lumière qui est déjà la leur, de la grâce essentielle dont nous n’ayons pas le droit de dire que nous la voyons ».

Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.186-187.
L’importance attribuée par les clientes de la chirurgie esthétique à l’aspect de leurs seins, de leur ventre, de leur nez ou de leurs fesses suggère que, dans leur esprit, chaque partie de leur corps s’est autonomisée. Elles se considèrent comme un simple assemblage de divers morceaux qui ne communiquent pas entre eux et qui doivent être tous parfaits, sous peine de ruiner la valeur de l’ensemble. Le marqueur du chirurgien dessine sur la peau de ses clientes des pointillés qui les réduisent à des pièces de boucherie : épaule, filet, carré, rognon, cuissot. Ce faisant, il semble tracer des frontières infranchissables entre les différentes parties de leur personne.

Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.184.
Stéphane Rose nous rappelle que l’hygiéniste est né en même temps que l’industrialisation : ayant depuis longtemps perdu tout lien avec l’hygiène, il participe de ce rationalisme éradicateur, glacial, qui en veut au coeur même de l’identité humaine, assimilée à une indignité. La marchandise impose son modèle à travers les images sophistiquées, en deux dimensions, dont nous sommes bombardés : elle veut des surfaces lisses, unifiées, brillantes, comme plastifiées, exemptes de toute once de graisse et de tout poil. L’image nie l’importance de tout ce qui existe en dehors d’elle : les odeurs, décrétées répugnantes ; les sensations (une prothèse mammaire est faite pour être photogénique, pas pour procurer du plaisir) ; mais aussi, évidemment, la personne avec son individualité, son histoire, sa façon de se comporter, ce qu’elle dégage, le genre de relations qu’elle est capable d’établir avec ses semblables. On peut d’ailleurs penser que, si la douleur des opérations de chirurgie esthétique est systématiquement niée ou minimisée, c’est aussi parce qu’elle est hors image.

Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.176.

7.11.22


The Handmaid's Tale, season 5

5.11.22

Dans les magazines féminins, le dossier « Spécial rajeunir » est devenu marronnier, au même titre que le « Spécial mincir » du printemps. Cette évolution marque une rupture importante : sans se prononcer sur ce que ces deux objectifs ont de désirable, on notera que, si mincir est difficile, rajeunir est impossible. Il est d’ailleurs étonnant que nous ne soyons pas davantage frappés par l’absurdité de ce terme — qui est aussi le titre d’un bimestriel, Rajeunir Magazine — comme par celle de l’adjectif « anti-âge ».


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.166.

 A son arrivée (sur le tournage d’Ally McBeal), elle (Portia de Rossi) demande à Courtney Thorne-Smith où tout le monde va déjeuner à midi ; sa collègue lui répond d’un air gêné qu’ici « on est pas tellement du genre à manger ensemble ». Comprendre : à manger tout court. Naomi Wolf n’a sans doute pas tort de voir dans l’inhibition d’un nombre croissant de jeunes femmes envers la nourriture l’une des causes du déclin du féminisme : comment apprendre à se connaître, comparer ses expériences — et pas seulement ses mensurations —, tisser des liens de solidarité, lorsqu’on ne peut même pas s’asseoir une heure à la même table ?


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.158.



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Feminists in the City, Witches & Feminism masterclass, October 2022


 Harry Potter 20th Anniversary