26.6.23


Rappelons d’abord que les jupes, talons hauts, collants fragiles, bijoux encombrants, lingerie fine, sacs à main et autres accessoires censés être consubstantiels à la féminité ne vont pas de soi. Certaines peuvent préférer une tenue plus pratique, qui leur permette de courir, travailler en étant libres de leurs mouvements, de bricoler. Elles peuvent aussi avoir envie d’établir leurs relations avec les hommes sur une base qui marque moins la différence des sexes. C’est à chacune d’arbitrer l’importance qu’elle veut accorder respectivement à son confort, à sa capacité d’agir, et à la recherche ou la séduction de sa tenue. Par ailleurs, le choix de ne pas trop s’exposer, de ne pas porter de vêtements trop moulants, ne relève pas forcément d’une déviance ou d’un blocage qu’il s’agirait de pulvériser toutes affaires cessantes : il peut aussi traduire un réflexe légitime d’auto protection, de quant-à-soi. (…) On peut mettre du temps à apprivoiser la féminité ; on peut aussi ne jamais y venir, et ne pas s’en porter plus mal.


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.244



 


 






25.6.23

 

La responsable des castings de Marie Claire, Fabienne Schabaillie, s’était justifiée en 2007 : « Il est vrai que nous choisissons rarement des mannequins noirs. Simplement parce qu’elles ne vendent pas. Quand nous avons fait une couverture avec la sublime Naomi Campbell, les ventes ont hélas été décevantes, et il faut savoir que multiplier les couvertures qui ne marchent pas mettrait en péril notre magazine. (…) Selon moi, ça n’a rien à voir avec le racisme. C’est juste que les lectrices, en majorité blanches, recherchent avant tout un effet miroir. Elles doivent pouvoir s’identifier. » On peut douter de l’argument, puisque même les éditions locales des grands magazines occidentaux répugnent à mettre en couverture des modèles des pays où ils s’implantent. Et quand bien même : on se demande pourquoi une lectrice rousse ou brune pourrait s’identifier à un mannequin blond, et inversement, mais pas à une Noire ou à une Asiatique… Schabaillie concédait d’ailleurs : « Sans doute devrions-nous brusquer les choses pour que les lectrices s’habituent à un autre type de beauté. »



Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.224

 

La mondialisation apparaît d’autant moins comme une mutualisation des pratiques et des valeurs que ses acteurs occidentaux, en dépit de leurs proclamations vertueuses, tendent à appliquer aux populations des pays où ils s’implantent le traitement qu’ils ont longtemps réservé, ou qu’ils réservent encore, à leurs minorités. Ainsi, la présence, en septembre 2011, de six mannequins asiatiques à la une du Vogue chinois constituait un petit évènement : au cours de l’année précédente, les blondes aux yeux clairs, mannequins ou stars hollywoodiennes, avaient raflé huit couvertures sur douze. Et quand des vedettes moins conformes passent la rampe, Photoshop se démène autant que possible pour les ramener à la civilisation. A l’été 2008, L’Oréal avait fait scandale aux Etats-Unis avec une publicité où la chanteuse Beyoncé Knowles apparaissait blanchie, les cheveux raidis et blondis. Un an plus tard, la marque dotait une autre de ses représentantes, l’actrice indienne Freida Pinto (Slumdog Millionaire), d’un teint beigeasse. Et Elle India a fait quelques vagues pour avoir donné à Aishwarya Rai un spectaculaire teint de porcelaine en couverture de son édition de décembre 2010. L’actrice avait d’abord été « incrédule » en la découvrant ; elle envisageait de porter plainte.



Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.224


La valorisation du teint clair est très ancienne dans les pays asiatiques. On la trouve souvent dans la mythologie, qui, chez les hindous, par exemple, « met aux prises des dieux à la peau claire et des démons à la peau sombre », indique Geoffrey Jones. Elle s’explique, dit-on, par le fait qu’un teint pâle révélait le rang social d’une femme n’ayant pas besoin de travailler aux champs. En Inde comme en Asie du Sud-Est, l’histoire a également vu le triomphe de peuples à la peau claire sur d’autres à la peau plus foncée. La colonisation a renforcé cette signification d’appartenance à la classe dominante ; non seulement le colon blanc trônait au sommet de la hiérarchie, mais il jouait les individus ou les groupes sociaux les uns contre les autres en fonction des nuances de leur complexion. Cet héritage, mélange inextricable de dynamiques internes et d’influences extérieures, empêche toute mise en circulation de modèles esthétiques qui diffèrent vraiment des canons occidentaux : le cinéma indien a beau être le plus dynamique de la planète, les plus grandes stars sont au contraire celles qui s’en rapprochent le plus.



Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.224

4.6.23