5.6.22

Peut-être que quand les femmes jurent qu’elles n’ont aucun désir d’être réellement soumises, torturées ou violées, qu’elles tiennent à leur intégrité physique et psychique, qu’elles sont par ailleurs indépendantes, féministes, etc., on pourrait… les croire. Peut-être que nous pourrions nous croire nous-mêmes. 


Puisqu’ils prennent forme dans des moments où nous cherchons à atteindre un bien-être maximal, on peut penser que nos fantasmes visent à aplanir toutes les difficultés qui se posent à nous, par tous les moyens possibles. Et s’ils incorporaient des éléments masochistes non pas comme un poison qui s’y infiltrerait malgré nous, mais comme un contre-poison ? Ils sont d’une grande plasticité, ils apparaissent en un claquement de doigts et disparaissent tout aussi vite s’ils ne nous satisfont pas ; ils sont pragmatiques, ils font feu de tout bois. On peut supposer qu’ils mêlent toute sorte d’éléments hétérogènes qui se fondent les uns aux autres : certains empruntés à des situations que nous aimerions réellement vivre, les stratagèmes qui autorisent la libération de nos désirs dont parle Nancy Friday, et d’autres encore qui relèvent de la conjuration ou de la réparation.


Chaque jour, en effet, même la moins féministe des femmes doit dépenser une énergie considérable, consciemment ou non, à se défendre contre la domination masculine, à composer avec elle et/ou à lutter contre elle — ne serait-ce qu’en étant vigilante quand elle marche seule la rue dans la nuit, par exemple, et dans toutes sortes d’autres circonstances. On peut présumer que c’est exténuant. Et que cela crée une tension qui, de temps en temps, nécessite une résolution. 


Par moments, que nous soyons des féministes convaincues ou que nous rejetions ce mot, peut-être que nous avons besoin de devenir en pensée de mignonnes petites truies qui se roulent dans la fange de la domination masculine, parce que c’est trop épuisant, tout le reste du temps, d’essayer d’éviter ses éclaboussures. Le fantasme d’être soumise à un ou plusieurs hommes, l’acceptation et la revendication des qualificatifs dégradants qu’on nous jette à la figure, la recherche active, en imagination, des violences dont nous sommes sans cesse menacées visent peut-être à neutraliser cette domination, à la subvertir. Le fait que, souvent, nous imaginions prendre du plaisir à ces violences (ce qui ne peut se produire que dans l’univers du fantasme) implique que, dès lors, il ne peut plus rien nous arriver de mal. Notre esprit peut utiliser cette ruse pour nous persuader que nous sommes à l’abri, que nous sommes invincibles. 


(…)


Si la scène où Han Solo surprend la Princesse Leia dans L’Empire contre-attaque m’a autant frappée, cela ne traduit peut-être pas la vulnérabilité de mon esprit à la culture du viol, mais, au contraire, le soulagement que cela me procurait de voir représentée à l’écran une attitude menaçante qui n’était pas une vraie menace : elle était le fait d’un homme beau, désirable et foncièrement bien intentionné qui faisait partie des « bons » ; la femme voulait elle aussi ce qui se produisait ; la scène s’achevait sur une note comique qui confirmait son caractère inoffensif et attendrissant… Peut-être qu’en la regardant je n’ai pas appris à associer la menace à la séduction, comme je l’ai écrit plus haut, mais que j’ai été soulagée de voir une menace se révéler être une séduction, et être ainsi désamorcée. 


Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, 2021, p.236-237