26.4.22

L’opinion publique est généralement horrifiée par l’existence des groupies d’assassins, surtout quand les crimes de ces derniers ont été très médiatisés. De la même manière, quoique dans une moindre mesure, les victimes de violences conjugales sont souvent regardées avec une condescendance apitoyée. Toutes sont considérées comme de pauvres créatures crédules, qui souffrent d’un manque de jugement désolant. Pourtant, ce ne sont pas elles qui ont inventé la culture patriarcale, ni l’association de la séduction masculine et de la violence. Pourtant, elles se bornent à reproduire la valorisation de l’amour sublime et contrarié dans lequel nous baignons tous. 


Pourtant, nous faisons continuellement l’éloge des femmes dans des termes qui soulignent leur dévouement, leur abnégation, leur souci des autres — et, en creux, leur oubli d’elles-mêmes : « toujours souriante », « le coeur sur la main », « toujours là pour ses enfants »… Toutes ces qualités sont tellement inhérentes à notre conception du féminin que nous prononçons ces paroles banales sans même y penser. A l’inverse, celles qui mesurent leur générosité, qui écoutent leurs propres besoins, qui ne se sentent pas directement responsables du bien-être des trois quarts de l’humanité sont vite perçues comme froides et égoïstes. Dès lors, à notre insu, nous fabriquons des femmes qui se conforment à ces attentes. 


Le monde tourne beaucoup trop grâce au dévouement féminin, et beaucoup trop de gens en abusent. Il serait temps que le dévouement devienne une qualité mieux répartie. Peut-être faudrait-il commencer par valoriser la gentillesse et la serviabilité chez les petits garçons, et par encourager les petites filles à prêter attention à leur propre bien-être et à le défendre — leur apprendre à devenir des personnes polies, raisonnablement attentives aux autres, mais pas des anges.  



Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, 2021, p.139-140