J'ai été une enfant et une jeune fille d'une grande timidité mais, aussi loin que je m'en souvienne, ce handicap se manifestait avant tout face au groupe (c'est-à-dire dès lors que j'avais affaire à plus de trois quatre personnes à la fois). La classe, en particulier, a été pour moi l'expression première d'une entité collective qui n'a jamais cessé de me terrifier. Jusqu'à la fin de ma scolarité, j'ai été incapable de dormir la veille des jours de récitation à voix haute ou d'exposé, et je passe sous silence les stratégies de contournement que j'ai longtemps développées pour tenter d'éviter toute prise de parole en public.
En revanche, dès le plus jeune âge, il me semble avoir fait preuve d'une certaine aisance dans le face-à-face, le tête-à-tête, et d'une véritable capacité à rencontrer l'Autre, dès lors qu'il prenait la forme d'un individu et non d'un groupe, à me lier à lui. Partout où je suis allée, où j'ai séjourné, j'ai toujours trouvé quelqu'un avec qui jouer, parler, rire, rêver, partout où je suis passée j'ai trouvé des ami(e)s et tissé des relations durables, comme si j'avais perçu très tôt que ma sauvegarde affective se jouerait à cet endroit.
Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie, 2015