7.10.22

Le corps est le dernier lieu où peuvent s’exprimer la phobie et la négation de la puissance des femmes, le refus de leur accession au statut de sujets à part entière ; ce qui explique peut-être l’acharnement sans bornes dont il fait l’objet. Quels que soient ses efforts pour se faire toute petite, une femme prend toujours trop de place. 


« Dans ce métier, dit un mannequin dans Picture Me, les gens parlent toujours de vous comme si vous n’étiez pas là, et on les entend dire des choses comme : « Dommage qu’elle ait de si grosses fesses, sinon elle aurait pu porter cette robe. » On est toutes extrêmement minces, et pourtant ils n’arrêtent pas de nous donner des claques sur les cuisses ou les fesses en disant qu’on est grosses. » Là aussi, c’est l’anorexique qui, en frôlant la mort ou en se laissant mourir, en tendant à disparaître, apporte la réponse la plus adéquate à l’injonction qui lui est faite. 


En août 2006, au terme d’un défilé à Montevideo, Luisel Ramos, modèle uruguayen de vingt-deux ans, s’écroulait morte dans les coulisses. D’après son père, depuis des mois, elle ne se nourrissait plus que de salade et de Coca Light, et elle avait cessé de manger deux semaines avant la présentation des collections. Sa mort fut suivie de celle, en novembre de la même année, de sa consoeur brésilienne Ana Carolina Reston, vingt-deux ans elle aussi. En février 2007, la petite soeur de Luisel Ramos, Eliana, dix-huit ans, également mannequin, mourrait à son tour d’une crise cardiaque causée par la malnutrition.


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.148-149.