2.9.18

Le festin n’en était pas du tout un. Des choux à la crème boursouflés qui transpiraient dans un bol, jusqu’à ce que quelqu’un les donne aux chiens. De la chantilly industrielle dans un récipient en plastique, des haricots verts trop cuits, gris et informes, agrémentés des trophées d’une poubelle quelconque. Douze fourchettes s’entrechoquaient dans une marmite géante, chacun piochant à son tour dans une bouillie de légumes insipides, mélange de pommes de terre, de ketchup et de sachets de soupe à l’oignon. Il y avait une unique pastèque, dont la peau ressemblait à celle d’un serpent, mais personne ne put trouver de couteau. Finalement, Guy l’ouvrit en la cognant violemment contre un coin de table. Les enfants se jetèrent comme des rats sur la pulpe écrasée. 

Rien à voir avec le festin que j’avais imaginé. L’écart me rendait un peu triste. Mais c’était triste seulement dans l’ancien monde, me rappelai-je, où les gens demeurent effrayés par le remède amer de leurs vies. Où l’argent maintenait tout le monde en esclavage, où les gens boutonnaient leurs chemises jusqu’au col, étranglant l’amour qu’ils avaient en eux.

The Girls, Emma Cline, 2016