14.6.18

Je suis une femme sexuelle

J’ai 24 ans et je suis française. J’ai grandi à Paris, où j’ai obtenu mon bac littéraire, et j’ai fait des études de cinéma. Depuis quelques années, je m’intéresse à l’Histoire des femmes et à la lutte pour l’égalité entre les sexes, ce qui a notamment changé ma vision de la sexualité. Je poursuis actuellement des études d’Histoire à Paris.

J’ai souvent été seins nus sur la plage en France. Je n’éprouve pas de difficulté à montrer mon corps. J’ai fait de la danse burlesque, ce qui m’a permis de redécouvrir et apprécier mon corps, et à ne plus le considérer à travers le regard de l’autre, mais à travers mon propre regard. J’ai travaillé et dansé avec des femmes qui avaient des corpulences diverses, ce qui fut une activité très plaisante et libératrice. Pourtant, j’ai dû lutter avec ce corps, et pour me le réapproprier. Il m’a fallu du temps pour me débarrasser des tabous de mon adolescence. J’ai fait des régimes, parce que je voulais correspondre à un modèle de beauté : celui que l’on me proposait dans la majorité des médias. C’est en me cultivant différemment que j’ai su que d’autres façons d’envisager le corps existaient. J’ai appris à ne plus être dans le jugement de mon propre corps, ni dans la quête d’un corps parfait. Accepter son corps est un long processus de déconstruction de tout ce que l’on a admis pendant des années. Pour moi, ce cheminement est également lié à la sexualité.

J’ai grandi avec l’idée que la sexualité est un secret, quelque chose que l’on cache. Je ne suis pas toujours à l’aise dans les discussions de groupes portant sur ce sujet. Je ne sais pas à quel point j’aurais envie de partager mon expérience personnelle. Ce que je crois en revanche, c’est qu’il est important de pouvoir parler de notre sexualité, que ce soit avec plusieurs personnes si on se sent à l’aise pour le faire, ou avec quelqu’un en particulier en qui l’on a confiance, dans un cadre plus intime. Je pense qu’il ne faut pas redouter d’imposer notre ressenti, et de refuser une situation lorsque celle-ci est dérangeante. Finalement, on ne doit rien à personne quand il s’agit de notre sexualité.

Je pense que je cherche encore à comprendre et à connaître ma sexualité en tant que femme. Je me suis toujours sentie différente, en marge des autres, car je ne m’y suis pas intéressée avant un certain âge contrairement aux personnes qui m’entouraient. A partir de l’adolescence, on s’attendait plus ou moins à ce que je m’éveille sexuellement, alors que je n’étais pas prête, et je me rends compte que je l’ai vécu comme une forme de pression sociale. Je sais que dans la société dans laquelle je vis, on a accès à la sexualité - ou du moins à une image de la sexualité - de plus en plus tôt, et je pense que ce n’est pas synonyme de libération pour tout le monde.

Est-ce que le fait de pouvoir accéder à des images représentant la sexualité, à travers l’audiovisuel, à travers internet, contribue à nous ouvrir à notre sexualité ? Personnellement, c’est un peu compliqué.

Je fais donc partie d’une génération qui a visualisé un rapport sexuel avant même d’avoir eu des relations sexuelles. Je pense que l’appréhension que l’on peut éprouver à l’idée de connaître cela est exacerbée par la vision de l’acte, et que l’on se retrouve malgré soi dans une sorte de compétition à l’égard des autres. On peut avoir l’impression de devoir faire les choses au lieu de les désirer. Par exemple, j’ai tellement entendu la question «Quand est-ce que tu couches ?». Comment peut-on réagir face à cette question ? On se dit que si l’on n’a pas encore eu de relations sexuelles, on n’est pas normal. On se demande comment ça doit se passer, alors que la question essentielle à mon sens est de savoir ce dont on a envie, y compris de ne pas avoir de relations, si tel est le cas.

Il y a un point qui rend la sexualité féminine particulière, c’est le fait de penser que lors du premier rapport on va perdre quelque chose, à savoir notre hymen. J’ai longtemps cru que c’était ce qui se produirait, et j’ai récemment appris qu’on ne peut pas «perdre» son hymen, au même titre qu’un hymen ne disparaît pas, puisqu’il s’agit d’un muscle capable de se contracter et se rétracter. Je suis encore choquée de m’apercevoir que j’étais mal renseignée sur ma propre sexualité, alors même que j’ai eu accès à l’éducation. Je regrette d’avoir eu un certain manque d’éducation sexuelle, quand cet apprentissage m’aurait permis de mieux connaître mon corps, et je suis désormais persuadée qu’il s’agit d’une étape importante pour qu’une femme se sente maîtresse de son corps. Etre dans l’ignorance de notre constitution biologique peut constituer un handicap aussi bien psychologique que physique, et entraîner de réelles difficultés à envisager les rapports sexuels. Lorsque notre expérience sexuelle est encore inexistante, on aurait tendance à se baser sur celle des autres pour savoir en quelque sorte à quoi s’attendre. En y réfléchissant, quand d’autres filles m’ont raconté leurs propres expériences intimes dans les moindres détails, je pense sincèrement que j’aurais eu davantage besoin d’une chose : que l’on me transmette l’idée que, lorsqu’il s’agit de notre sexualité, on fait ce que l’on veut, quand on en a envie.

Ma première expérience sexuelle a été provoqué par un sentiment de solitude et de marginalisation. Je ne voulais pas être célibataire alors que la plupart de mes amies étaient en couple. Je pensais qu’il fallait me «donner sexuellement» pour pouvoir être dans une relation. Je me suis donc un peu forcée à sortir avec un garçon, mais comme je n’en avais pas vraiment envie, cette relation fut de courte durée. J’étais plus excitée à l’idée d’appeler mes copines pour leur raconter ce qui se passait qu’à l’idée de partager quelque chose avec lui. Je suis sortie avec des garçons pendant des années en ayant le moins de rapports possible, car je n’étais jamais suffisamment en confiance pour ça, et ces relations n’ont jamais duré très longtemps.

Quelques années plus tard, j’ai couché avec un garçon que je venais de rencontrer, et l’expérience fut assez désastreuse. Mon partenaire n’était pas attentionné à mon égard, et nous n’avions pas vraiment de connexion. J’ai pensé que c’était de ma faute, car je m’attendais à ce qu’il contrôle la situation. Un autre mythe entretenu par les représentations de la sexualité que j’avais en tête... De plus, je pensais à son plaisir, mais pas du tout au mien. Je me suis oubliée, mais j’avais la sensation d’avoir accompli quelque chose et j’étais satisfaite en ce sens. J’avais voulu me «débarrasser» de ce poids, et j’avais réussi. Je voyais ma sexualité comme un but à atteindre. En fait, je ne la considérais pas. Quelques temps après, je l’ai mal vécue. J’ai eu l’impression de m’être obligée à faire certaines choses que je n’avais pas réellement envie de faire. Pourtant, j’ai longtemps répété cette erreur, convaincue qu’une personne qui s’intéressait à moi était en droit de s’attendre à avoir un rapport avec moi. Avec le temps, j’ai compris que l’âge n’avait aucune importance, qu’il fallait se sentir prêt pour avoir des relations sexuelles. Si on se pose la question d’en avoir, il faut s’écouter, car on n’en a certainement pas envie. Se sentir en confiance et en sécurité est primordial, et pouvoir refuser un rapport en fait partie.

Dans le monde qui m’a entourée, j’ai également souffert du manque de représentation de la sexualité dans sa diversité. Je suis attirée par les hommes et les femmes, et je ne choisirais pas d’être avec une personne en fonction de son sexe. Il m’a fallu du temps pour le comprendre et accepter mon orientation. Au quotidien, je suis inquiète de constater encore tant d’intolérance à l’égard des personnes non hétérosexuelles, et j’aimerais que la sexualité sous toutes ses formes puisse être reconnue par tous et montrée avec sérénité.

Concernant la masturbation, j’ai personnellement toujours été à l’aise avec cette pratique, qui m’apparaît comme un lien intime avec soi, éloigné de toute pression sociale, et une très bonne manière de connaître son corps. En revanche, l’idée de s’abandonner à une autre personne est encore difficile pour moi. Ma crainte repose sur l’éventualité de me retrouver dans un rapport sexuel où je serais dominée du fait de mon sexe, parce que je suis une femme et que je n’ai pas appris à penser à mon plaisir, mais à être dans la performance.

En étant avec une femme pour la première fois, j’ai compris cette différence, car je n’ai pas ressenti les mêmes angoisses qu’avec certains hommes. Après avoir multiplié les expériences, j’ai compris que l’épanouissement sexuel nécessite de se respecter, de s’écouter. D’autre part, ce n’est pas parce que l’on n’a pas de relations sexuelles, que l’on n’a pas de vie sexuelle. Je pense qu’il est important de redéfinir le vocabulaire. Personne n’est obscène ou prude selon moi, bien que si certaines personnes voulaient se revendiquer prude ou obscène, je n’y verrais aucun mal. A chacun son rythme et son évolution.

Pour finir, je souhaiterais que notre société ouvre les yeux, et réalise que la liberté sexuelle n’entraîne pas les violences. Les femmes ont droit à la sexualité qui leur convient, à la contrôler pleinement, et rien ne justifie que cette sexualité ne leur soit reprochée, ôtée, ne soit entravée ou brisée. Seule l’éducation des filles et des garçons à leur sexualité peut leur permettre de prendre pleine possession de leurs corps et de leurs désirs, et de respecter leurs futurs partenaires afin de vivre une sexualité consentie.

Je suis une femme sexuelle, 2015, Lil C. J. P. 

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I am a sexual woman

I am a 24 year-old French woman. I grew up in Paris, where I passed my A-levels in Literature and got a Film degree. For a few years now, I have been interested in Women’s history and the fight for gender equality, which has notably changed my position on sexuality. I am currently studying History in Paris.

I have often been topless on the beach in France. I have no difficulty showing my body. I took a burlesque class, which has allowed me to rediscover and appreciate my body, and not to see it through other people’s eyes, but through my own. I have worked and danced with women who had different body shapes, which was a very pleasant and liberating activity. However, I have had to fight with this body, and to reclaim it. It took me time to get rid of my teenagehood’s taboos. I have gone on diets because I wanted to match beauty standards: those offered by most medias. It is through educating myself differently that I came to learn about other ways to consider the body. I learned not to judge my own body anymore, and not to seek for a perfect body. Accepting your body is a long process of deconstruction of everything that you have admitted for years. For me, this development is also related to sexuality.

I grew up with this idea that sexuality is a secret, something to be hidden. I don’t always feel comfortable in group conversations about this topic. I don’t know to what extend I would like to share my personal experience. What I do believe in, on the other hand, is that it is important to be able to talk about your sexuality, whether it is with multiple people if you feel comfortable to do so, or with someone special who you trust, in a more private context. I think that you should not be afraid to impose your perception and to refuse a situation when it is disturbing. After all, you don’t owe anybody a thing when it comes to your sexuality.

I think I’m still figuring out and getting to know my sexuality as a woman. I have always felt different from others because unlike most of the people I knew, I didn’t get interested in it until a certain age. From the moment I reached adolescence, people more or less expected me to awake sexually, whereas I was not ready for that, and I realize that it felt like some kind of social pressure to me. I know that in the society I live in you access sexuality - or at least some image of sexuality - earlier and earlier, and I do not think this is synonymous with liberation for everyone.

Does the ability to access pictures representing sexuality, through audiovisual content, through the internet, contributes to your sexual opening? Personally, it’s a bit complicated.

So I’m part of a generation which has visualized sexual intercourse before even having had sex. I think that the apprehension that you may feel at the idea of living this is increased by the vision of the act, and you find yourself unintentionally in some sort of competition towards others. You may get the impression that you must do things instead of desiring them. For instance, I have heard so many times this question: « When are you going to sleep with someone? ». How can you react to this question? You tell yourself that if you haven’t had sex yet, you’re not normal. You wonder how it is supposed to happen, whereas the fundamental question you should ask yourself is what you want, including if it means not having sex.

There is one point that makes feminine sexuality special, which is the fact that you believe that during your first intercourse you are going to loose something, that is your hymen. I have longed believed this was what would happen, and I recently found out that you cannot « loose » your hymen, in the same way a hymen does not vanish, since it it a muscle capable of contracting and retracting itself. I am still shocked to realize that I was misinformed about my own sexuality, whereas I have had access to education. I regret that I have lacked a certain sexual education, when this knowledge would have allowed me to know my body better, and I am now convinced that this is an important step in order for a woman to feel like she is in control of her body. Being unaware of your biological functioning may lead to a psychological handicap as well as physical, and real difficulties to address sexual activity. When your sexual experience is yet nonexistent, you tend to base yourself on others’ experiences to kind of know what to expect. When I think about it, when other girls told me about their intimate experiences in every detail, I honestly think that I rather needed one thing: that someone shares with me the idea that, when it comes to your sexuality you do what you want, when you want it.

My first sexual experience was provoked by a feeling of loneliness and marginalization. I didn’t want to be single whereas most of my girlfriends were in relationships. I thought I had to « give myself sexually » in order to be in a relationship. So I forced myself a bit to go out with a boy, but since I didn’t really want to, this relationship didn’t last long. I was more excited at the idea of calling my girlfriends to tell them what was happening than to share anything with him. I went out with boys for years while having as little sex as possible, because I was never confident enough for this, and these relationships never lasted very long.

A few years later, I slept with a boy I had just met, and the experience was quite disastrous. My partner was not very considerate, and we didn’t have a real connection. I thought it was my fault, because I expected him to control the situation. Another myth supported by the representations of sexuality that I had in mind... Moreover, I was thinking of his pleasure and not mine at all. I had forgotten myself, but I had the sensation of having accomplished something and in that way, I was satisfied. I wanted to « get rid of » this weight, and I had succeeded. I saw my sexuality as a goal to attain. In fact, I didn’t consider it. After a while, I took it hard. I had the impression I had forced myself to do certain things I didn’t really want to do. Yet, for a long time I repeated this mistake, convinced that someone who was interested in me was entitled to expect having intercourse with me. With time, I realized that age doesn’t matter, that you need to be ready to have sex. If you are wondering whether you should have it or not, you need to listen to yourself, because you probably don’t want to. Feeling confident and safe is essential, and being able to refuse sex is part of it.

In my environment, I also suffered from a lack of representation of sexuality in its diversity. I am both attracted to men and women, and I would not choose to be with a person according to their sex. It took me time to understand that and accept my orientation. In everyday life, I worry about observing so much intolerance towards non-heterosexual people, and I wish for sexuality to be acknowledged in all its forms by all, and showed with serenity.

Regarding masturbation, I personally always felt comfortable with this practice, which seems to me like an intimate connection to oneself, far from all of the social pressure, and a very good way to know your body. However, the idea of « giving yourself up » to another person is still difficult for me. My fear relies upon the eventuality of finding myself in an intercourse during which I would be dominated because of my sex, because I am a woman and I didn’t learn to think about my own pleasure, but to be performing.

Being with a woman for the first time, I understood this difference, because I didn’t feel the same anxiety as when I was with certain men. After having multiplied experiences, I understood that sexual fulfillment requires to respect yourself, to listen to yourself. Furthermore, just because you are not having sex, it does not mean you don’t have a sexual life. I think it’s important to redefine vocabulary. According to me, no one is obscene or prude, although if some people would like to call themselves prude or obscene, I wouldn’t mind it. Everyone goes at their own pace and has their own progression.

Finally, I wish our society would open their eyes and realize that sexual freedom does not lead to violences. Women are entitled to the kind of sexuality that is right for them, to fully control it, and nothing justifies that this sexuality should be shamed, stripped from them, restricted or broken. Only sexual education may allow girls and boys to take full control of their bodies and their desires, and to respect their futur partners so that they can have consent in their sexual activity.

I am a sexual woman, English translation 2018, Lil C.J.P.