2.5.22

Pour que ni les « couples de légendes » ni les couples anonymes des prochaines décennies ne perpétuent la même farandole sinistre, peut-être devrions-nous suivre les préconisations de bell hooks : ne pas penser à l’amour comme à un simple sentiment qui autorise toutes sortes de comportements, mais comme à un ensemble d’actes. L’illumination lui est venue de l’auteur de développement personnel Scott Peck, qui propose de définir l’amour comme la « volonté d’étendre son moi dans le but de nourrir sa propre croissance spirituelle et celle de l’autre », comme le fait de travailler à la fois à son propre épanouissement et à celui de l’autre. Dès lors, remarque bell hooks, « il devient clair que nous ne pouvons pas prétendre aimer si nous sommes nuisibles ou violents. » (…) 


De même, cette nouvelle définition de l’amour suffit à balayer le mythe du « crime passionnel ». Denis de Rougemont le disait lui aussi, quand il analysait le goût morbide des Occidentaux pour la passion : « Etre amoureux n’est pas nécessairement aimer. Etre amoureux est un état ; aimer, un acte. » A la passion, dans laquelle l’autre n’est qu’un prétexte, une illusion, le philosophe suisse opposait un amour qui accepte l’autre tel qu’il est et travaille pour son bien. 


Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, 2021, p.150

26.4.22

L’opinion publique est généralement horrifiée par l’existence des groupies d’assassins, surtout quand les crimes de ces derniers ont été très médiatisés. De la même manière, quoique dans une moindre mesure, les victimes de violences conjugales sont souvent regardées avec une condescendance apitoyée. Toutes sont considérées comme de pauvres créatures crédules, qui souffrent d’un manque de jugement désolant. Pourtant, ce ne sont pas elles qui ont inventé la culture patriarcale, ni l’association de la séduction masculine et de la violence. Pourtant, elles se bornent à reproduire la valorisation de l’amour sublime et contrarié dans lequel nous baignons tous. 


Pourtant, nous faisons continuellement l’éloge des femmes dans des termes qui soulignent leur dévouement, leur abnégation, leur souci des autres — et, en creux, leur oubli d’elles-mêmes : « toujours souriante », « le coeur sur la main », « toujours là pour ses enfants »… Toutes ces qualités sont tellement inhérentes à notre conception du féminin que nous prononçons ces paroles banales sans même y penser. A l’inverse, celles qui mesurent leur générosité, qui écoutent leurs propres besoins, qui ne se sentent pas directement responsables du bien-être des trois quarts de l’humanité sont vite perçues comme froides et égoïstes. Dès lors, à notre insu, nous fabriquons des femmes qui se conforment à ces attentes. 


Le monde tourne beaucoup trop grâce au dévouement féminin, et beaucoup trop de gens en abusent. Il serait temps que le dévouement devienne une qualité mieux répartie. Peut-être faudrait-il commencer par valoriser la gentillesse et la serviabilité chez les petits garçons, et par encourager les petites filles à prêter attention à leur propre bien-être et à le défendre — leur apprendre à devenir des personnes polies, raisonnablement attentives aux autres, mais pas des anges.  



Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, 2021, p.139-140

18.4.22

La soif d’amour des femmes — Au sujet des petites amies / groupies des tueurs

Toutes ces femmes manifestent une immense soif d’amour. Il faudra reparler de cette disposition à tomber amoureuse si grande qu’elle peut être activée par la simple image d’un inconnu sur un écran de télévision — sans même parler du fait qu’il s’agit de l’image d’un tueur. Elle montre bien comment les femmes sont conditionnées à rêver d’amour de manière obsessionnelle, à en faire le centre de leur identité et de leur quête existentielle, pour le plus grand bénéfice des hommes sur lesquels elles jettent leur dévolu. 



Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, 2021, p.137

16.4.22


Pour ma part, j’adore l’idée d’un tête-à-tête assez intense et captivant pour combler les deux partenaires. Je ne crois pas à la fidélité sacrificielle : s’il y a de la frustration, il vaut mieux se séparer ou trouver un arrangement qui permette d’y remédier. Non, en effet, il n’est pas toujours possible d’être comblé par une seule personne, mais je ne veux pas non plus écarter d’emblée cette hypothèse.


Je crois que l’exclusivité amoureuse peut apporter des plaisirs irremplaçables ; que chacun, chacune est assez vaste pour contenir le monde entier et l’offrir à l’autre, et qu’on a jamais fini de connaître quelqu’un. J’aime assez la définition de la fidélité que donne Denis de Rougemont : « L’acceptation définitive d’un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à s’exalter, ou comme « objet de contemplation », mais comme une existence incomparable et autonome à son côté, une existence d’amour actif. »


Réinventer l’amour. Comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Mona Chollet, 2021, p.42