A cette vieille malédiction du corps féminin s’ajoute le poids d’une histoire particulière : celle de la relation des femmes à la nourriture. Naomi Wolf rappelle que dans les situations de famine, sous toutes les latitudes, elles sont les plus exposées aux privations. Susan Bordo fait remonter les conceptions actuelles à l’ère victorienne, qui bannissait toute représentation d’une femme en train de manger. Elle souligne d’ailleurs que les hommes boulimiques mangent en public ; les femmes, jamais : elles s’arrangent pour se retrouver seules avec la nourriture.
L’appétit féminin suscite la peur et la répulsion, car cette aspiration goulue en évoque d’autres, de nature sexuelle (la « mangeuse d’hommes »), affective, politique, toutes perçues comme excessives. Une femme est censée picorer, remplir modérément son assiette, éviter de se resservir. Il est inconcevable qu’elle se laisse aller sans retenue aux plaisirs de la chère. De surcroît, son rôle traditionnel est d’être celle qui prépare avec amour de bons plats pour les autres, mari et enfants, et qui y trouve son compte ; on n’imagine pas qu’elle puisse être la destinataire de telles attentions.
Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.142.