22.9.22

20.9.22

A cette vieille malédiction du corps féminin s’ajoute le poids d’une histoire particulière : celle de la relation des femmes à la nourriture. Naomi Wolf rappelle que dans les situations de famine, sous toutes les latitudes, elles sont les plus exposées aux privations. Susan Bordo fait remonter les conceptions actuelles à l’ère victorienne, qui bannissait toute représentation d’une femme en train de manger. Elle souligne d’ailleurs que les hommes boulimiques mangent en public ; les femmes, jamais : elles s’arrangent pour se retrouver seules avec la nourriture. 


L’appétit féminin suscite la peur et la répulsion, car cette aspiration goulue en évoque d’autres, de nature sexuelle (la « mangeuse d’hommes »), affective, politique, toutes perçues comme excessives. Une femme est censée picorer, remplir modérément son assiette, éviter de se resservir. Il est inconcevable qu’elle se laisse aller sans retenue aux plaisirs de la chère. De surcroît, son rôle traditionnel est d’être celle qui prépare avec amour de bons plats pour les autres, mari et enfants, et qui y trouve son compte ; on n’imagine pas qu’elle puisse être la destinataire de telles attentions. 


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.142.

11.9.22

 Dans une société où l’égalité serait effective, elles (les femmes) auraient droit à un autre rôle que celui de vaches à lait ou de perroquets — ou d’otaries — du complexe mode-beauté. Au lieu de ressasser jusqu’à l’hébétude les préoccupations auxquelles on les assigne, elles relèveraient les yeux sur le monde ; elle s’empareraient de tous les sujets dignes d’attention qui s’offriraient à leur intelligence ; elles se battraient pour avoir le droit de développer toutes les facettes d’elles-mêmes et d’enfreindre tous les codes de bonne conduite ; elles imposeraient leur participation à la définition des valeurs dominantes ; elles imagineraient un moyen de faire profiter l’ensemble de la société des raffinements esthétiques qu’elles cultivent aujourd’hui dans leur ghetto. Elles forceraient les hommes à les prendre au sérieux, et inventeraient avec eux des relations entre les sexes plus riches, plus satisfaisantes, en abattant la prison des rôles appris. Et quand l’industrie de la mode et de la beauté prétendrait leur faire gober que leur bien-être coïncide avec le niveau de son chiffre d’affaires, elles lui riraient au nez. 


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.131.

 A lui seul, le terme « égérie », qui s’est imposé depuis quelques années, est symptomatique du glissement qui s’est opéré : une actrice n’est plus l’inspiratrice d’un artiste — ce qui, en cantonnant les femmes au rôle muet de muses, en les réduisant à leur photogénique et à leur sensualité, pouvait déjà être agaçant —, mais celle d’une marque ou d’un produit, dont la démarche se trouve ainsi anoblie, auréolée de toute la gloire et tout le mystère de la création. Et la publicité n’est plus un fléau que l’on subit ou que l’on fuit, mais, au contraire, une production culturelle à part entière, que l’on est censé rechercher et attendre : certains magazines proposent ainsi sur leur site Internet le making of du spot de Jean-Pierre Jeunet (Chanel N°5).


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.90.

Moins ouvertement puante qu’une fille à papa de l’Upper East Side ou une princesse bahreïnie, la it girl, mannequin, actrice, créatrice de mode ou présentatrice de télévision, se situe à un échelon intermédiaire. Fournissant généreusement magazines, blogs et émissions de télévision, elle popularise et démultiplie à l’infini les discours et les images mettant en scène l’idéal de l’hédonisme par la consommation experte. 

    On est vite écoeuré par ces litanies d’adresses branchées, de filles cool, d’amitiés sans nuages, de fous rires, de fêtes, de farniente, de positivité forcenée. Au-delà de sa pénible dimension publicitaire, ce fantasme déraisonnable d’une vie qui ne serait que plaisir et détente, moment exceptionnel sur moment exceptionnel, oublie que seul le contraste permet de les apprécier pleinement. Ils ne prennent sens que s’ils alternent avec des moments où l’on affronte la vie sous tous ses aspects, y compris ceux qui peuvent se révéler sombres, ennuyeux ou pénibles.


(…) A l’hiver 2011, toujours, alors que le monde arabe s’embrasait, les photos et les vidéos en provenance d’Egypte qui circulaient sur Internet montraient de nombreuses femmes parmi les manifestants. Sur une vidéo, on voyait l’une d’elles, âgée d’une vingtaine d’années, foulard rose vif sur les cheveux, scander des slogans anti-Moubarak que reprenait en choeur un groupe de jeunes hommes. Pendant ce temps, sur son blog, Garance Doré découvrait que « du moment que l’on met une robe et qu’elle est photographiée, on ne peut plus la reporter, c’est infernal mais c’est vrai ». Question : de ces deux femmes, laquelle est la plus émancipée ? 



Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.82.

6.9.22

5.9.22

Tout cela exerce une influence directe sur les rêves, les projets, les ambitions des adolescentes. Leurs fantasmes de succès se limitent souvent aux carrières qui feraient d’elles des objets de représentation : chanteuse, actrice, top model. Sara Ziff, ancien mannequin ayant repris des études universitaires et auteure d’un documentaire sur son premier métier, fait le même constat : « Dans les magazines pour adolescentes, les seules femmes qui sont mises en vedette, ce sont les mannequins et les actrices. Forcément, leurs lectrices en déduisent que c’est cela, la réussite pour une femme ». Par ailleurs, cette focalisation sur leur apparence, à un âge où le rapport à leur corps est souvent difficile, les pousse à développer une piètre estime d’elles-mêmes à un moment où elles doivent faire des choix d’orientation déterminants, observe Catherine Monnot.


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminine, Mona Chollet, 2012, p.48-49.


The Lord of the Rings, The Rings of Power, 2022

4.9.22

Backlash et marketing

On s’assure d’ailleurs que les fillettes en sont bien conscientes : leur propre date de péremption approche à grands pas. Et puis, puisqu’il vaut mieux prévenir que guérir, il n’est jamais trop tôt pour apprendre à « s’occuper de soi ». Elles intègrent donc un autre aspect de la féminité contemporaine : la conviction d’un défaut, d’un vice fondamental lié à leur corps, que le temps ne fera que rendre plus évident et dont il s’agit de retarder autant que possible l’apparition ; mais aussi une forme de saleté, à laquelle sont censés remédier mille produits destinés à « purifier », « gommer », « désincruster »…

(...)

Le secteur de l’électroménager, en particulier, préférait avoir pour clientes des femmes au foyer, perçues comme plus fiables, moins critiques, plus attentives à ce qu’il leur proposait. Il fit en sorte de leur donner l’illusion que, grâce à leurs robots, elles pourraient transformer une corvée en un moyen d’expression de leur créativité : « C’est une manière d’absorber les talents, le goût, l’imagination et l’initiative de la femme moderne. Cela lui permet d’utiliser dans son foyer toutes les facultés qu’elle déploierait dans une carrière. Ce besoin de création est une des forces qui la poussent à acheter », note une enquête que (Betty) Friedan s’est procurée. 


Beauté fatale. Les nouveaux visages d’une aliénation féminineMona Chollet, 2012, p.42-44.


The Florida Project, Sean Baker, 2017