Deux instruments ont permis de mettre les sages-femmes sur la touche et d’assurer un nouveau marché aux médecins « réguliers », c’est-à-dire de sexe masculin : le spéculum et le forceps.
Le premier fut inventé dans les années 1840 par un médecin de l’Alabama, James Marion Sims, qui se livra à des expériences sur des esclaves ; il fit subir à l’une d’elles, nommée Anarcha, une trentaine d’opérations sans anesthésie. « Racisme et sexisme sont incorporés dans l’objet lui-même — pensez-y la prochaine fois que vous aurez les pieds dans les étriers. », lance la journaliste canadienne Sarah Barmak (…)
Le forceps, lui, fut inventé bien plus tôt, au XVIe siècle, par Peter Chamberlen, un huguenot émigré en Angleterre. Au siècle, en 1670, son neveu Hugh voulut faire une démonstration de son usage devant François Mauriceau à l’Hôtel-Dieu à Paris, mais l’opération fut un désastre : elle se solda par la mort de la mère et de l’enfant. En Angleterre, l’instrument fut classé comme instrument chirurgical, et la pratique de la chirurgie était interdite aux femmes… Les sages-femmes, qui accusaient les médecins d’en faire un usage dangereux, protestèrent en vain. Leur pétition contre Peter Chamberlen III, en 1634, resta sans effet. Une violente campagne de dénigrement les accusa d’incompétence et d’obscurantisme. A la fin du XVIIe siècle, l’accouchement était entièrement aux mains de praticiens masculins. En France, en 1760, Elizabeth Nihell, sage-femme anglaise officiant à l’Hôtel-Dieu, affirmait n’avoir jamais vu une naissance requérant l’aide d’un instrument. Dans son Traité sur l’art de l’obstétrique, elle accusait les chirurgiens d’employer le forceps pour des raisons de convenance personnelle, pour écourter le travail.
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018