23.3.19


C’est bien ce que symbolise la fonction du vol nocturne de la sorcière, qui l’amène à déserter la couche conjugale en trompant la vigilance de l’homme endormi pour enfourcher son balai et partir au sabbat. Dans le délire des démonologues, qui trahit les hantises masculines de leur temps, le vol de la sorcière, écrit Armelle Le Bras-Chopard (cf. Les putains du diable), « figure une liberté d’aller et venir, non seulement sans la permission du mari, mais le plus souvent à son insu si lui-même n’est pas sorcier, voire à son détriment. En utilisant un bâton, un barreau de chaise, qu’elle met entre ses jambes, la sorcière s’attribue un ersatz du membre viril qui lui fait défaut. En transgressant fictivement son sexe pour se donner celui d’un homme, elle transgresse aussi son genre féminin : elle se donne cette facilité de mouvement qui, dans l’ordre social, est un apanage masculin. (…) 

En s’octroyant cette autonomie, et donc en se soustrayant à celui qui exerce sa propre liberté d’abord par la domination qu’il a sur elle, elle lui subtilise une part de son pouvoir : cet envol est un vol. 

Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018