31.3.19
Des représentations archaïques traînent dans les esprits au sujet des femmes qui n’ont jamais enfanté. L’insistance sur « l’épanouissement » et le « rayonnement » attribués d’office aux futures mères - alors que, à en croire les intéressées, les expériences de la grossesse sont très diverses - implique d’accorder une foi persistante, par contraste, aux images de vieilles filles au corps desséché par la vacuité de leur utérus. C’est ignorer que, comme l’écrit Laurie Lisle (cf. Without Child), l’utérus, même vide, est un organe bien vivant, « actif, avec ses sensations menstruelles et sexuelles ».
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
30.3.19
Dans nos sociétés on envisage que cette jeune fille violée n'aurait pas du boire. On envisage que la touriste suisse n'avait qu'à ne pas aller en Inde. On envisage qu'on n'avait qu'à pas s'habiller ainsi. On envisage qu'on n'avait qu'à sortir moins tard. On envisage qu'on n'avait qu'à être accompagnée. On envisage qu'on peut instaurer des couvre-feux pour les femmes.
On n'envisage pas que les hommes n'ont qu'à ne pas boire. On n'envisage pas que les hommes n'ont pas à violer. On n'envisage pas que les hommes peuvent ne pas sortir dans la rue le soir.
Le viol est le crime où la victime est accusée de mentir, accusée d'avoir encouragé, accusée d'avoir aimé, accusée d'avoir cherché, accusée de ne pas être assez défigurée, accusée d'avoir bu.
Dans les journaux féminins américains, c'est très à la mode de faire des articles pour dire aux femmes de ne pas boire car elles pourraient être violées ensuite. Je n'ai jamais lu un article dans un magazine masculin conseillant aux hommes de ne pas boire car ils pourraient violer. Jamais lu qu'un homme ne doit pas violer. Jamais lu que non c'est non. Apparemment le viol est commis par des extra-terrestres puisque, si son évocation est omniprésente dans la vie des femmes, elle est absente de celle des hommes.
On apprend aux femmes à se protéger (en restant chez elles) apparemment il n'y a rien à apprendre aux hommes.
(...)
La culture du viol naturalise le viol ; elle explique qu'il existera toujours et qu'il faut faire avec. Elle valide les mythes autour du viol comme de dire que le viol est commis en majorité par des étrangers alors que la plupart des viols sont commis par des hommes connus par la victime. Elle sexualise le viol en disant que le viol a quelque chose à voir avec la sexualité ; et qui irait se plaindre de la sexualité, c'est bon la sexualité non ?
"Comprendre la culture du viol", Crêpe Georgette, 2013
En somme, dans l’état actuel des choses, un seul type de femme peut vivre sa situation dans une totale tranquillité d’esprit, en conjuguant l’accord avec elle-même et l’approbation de la société : celle qui a un ou plusieurs enfants qu’elle a désirés, qui se sent enrichie par cette expérience et qui ne la paie pas d’un prix trop élevé, que ce soit grâce à une situation financière confortable, grâce à un métier qui la comble tout en lui laissant du temps pour sa vie de famille, grâce à un ou une partenaire qui prend sa part des tâches éducatives et domestiques, grâce à un entourage - parents, amis - qui l’aide, ou grâce à tout cela à la fois. (Si c’est dû à sa bonne situation financière, il y a toutefois de fortes probabilités pour que son bien-être repose sur une employée de maison ou une nounou qui sacrifie le sien dans un emploi mal payé et peu gratifiant.) Les autres sont toutes condamnées à une forme de tourment plus ou moins grand, et à s’envier les unes les autres, ce qui contribue à les diviser.
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
29.3.19
(Simone de Beauvoir, La Force de l’âge)
Elle adore vivre seule, dès ses années d’étudiante à Paris : « Je pouvais rentrer à l’aube ou lire au lit toute la nuit, dormir en plein midi, rester claque-murée vingt-quatre heures de suite, descendre brusquement dans la rue. Je déjeunais d’un bortsch chez Dominique, je dînais à la Coupole d’une tasse de chocolat. J’aimais le chocolat, le bortsch, les longues siestes et les nuits sans sommeil, mais j’aimais surtout mon caprice. Presque rien ne le contrariait. Je constatai joyeusement que le « sérieux de l’existence », dont les adultes m’avaient rebattu les oreilles, en vérité ne pesait pas lourd. »
Elle adore vivre seule, dès ses années d’étudiante à Paris : « Je pouvais rentrer à l’aube ou lire au lit toute la nuit, dormir en plein midi, rester claque-murée vingt-quatre heures de suite, descendre brusquement dans la rue. Je déjeunais d’un bortsch chez Dominique, je dînais à la Coupole d’une tasse de chocolat. J’aimais le chocolat, le bortsch, les longues siestes et les nuits sans sommeil, mais j’aimais surtout mon caprice. Presque rien ne le contrariait. Je constatai joyeusement que le « sérieux de l’existence », dont les adultes m’avaient rebattu les oreilles, en vérité ne pesait pas lourd. »
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
27.3.19
La sorcière, écrit Pam Grossman, « est le seul archétype féminin qui détient un pouvoir par elle-même. Elle ne laisse pas définir par quelqu’un d’autre. Epouse, soeur, mère, vierge, putain : ces archétypes sont fondés sur les relations avec les autres. La sorcière, elle, est une femme qui tient debout toute seule. »
« Avant-propos » in Taisia KITAISKAIA et Katy HORAN, Literacy Witches. A Celebration of Magical Women Writers, cité : Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
24.3.19
23.3.19
C’est bien ce que symbolise la fonction du vol nocturne de la sorcière, qui l’amène à déserter la couche conjugale en trompant la vigilance de l’homme endormi pour enfourcher son balai et partir au sabbat. Dans le délire des démonologues, qui trahit les hantises masculines de leur temps, le vol de la sorcière, écrit Armelle Le Bras-Chopard (cf. Les putains du diable), « figure une liberté d’aller et venir, non seulement sans la permission du mari, mais le plus souvent à son insu si lui-même n’est pas sorcier, voire à son détriment. En utilisant un bâton, un barreau de chaise, qu’elle met entre ses jambes, la sorcière s’attribue un ersatz du membre viril qui lui fait défaut. En transgressant fictivement son sexe pour se donner celui d’un homme, elle transgresse aussi son genre féminin : elle se donne cette facilité de mouvement qui, dans l’ordre social, est un apanage masculin. (…)
En s’octroyant cette autonomie, et donc en se soustrayant à celui qui exerce sa propre liberté d’abord par la domination qu’il a sur elle, elle lui subtilise une part de son pouvoir : cet envol est un vol.
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
22.3.19
(Les célibataires)
Ce sont aussi des femmes créatives, qui lisent beaucoup et qui ont une vie intérieure intense : "Elles existent hors du regard de l’homme et hors du regard de l’autre car leur solitude est peuplée d’oeuvres et d’individus, de vivants et de morts, de proches et d’inconnus dont la fréquentation - en chair et en os ou en pensée à travers des oeuvres - constitue la base de leur construction identitaire."
Ce sont aussi des femmes créatives, qui lisent beaucoup et qui ont une vie intérieure intense : "Elles existent hors du regard de l’homme et hors du regard de l’autre car leur solitude est peuplée d’oeuvres et d’individus, de vivants et de morts, de proches et d’inconnus dont la fréquentation - en chair et en os ou en pensée à travers des oeuvres - constitue la base de leur construction identitaire."
Erika Flahault, Une vie à soi, cité : Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
21.3.19
A contrario, les femmes apprennent à rêver de « romance » - davantage que d’ « amour », selon la distinction établie par Gloria Steinem : « Plus une culture est patriarcale et polarisée en termes de genre, plus elle valorise la romance », écrit-elle. Au lieu de se développer en soi toute la palette des qualités humaines, on se contente de la palette de celles qui sont dites féminines ou masculines, en cherchant sa complétude à travers l’autre, dans des relations superficielles vécues sur le mode de l’addiction.
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
20.3.19
Le modèle de la division sexuelle du travail dont nous restons prisonniers produits aussi d’importants effets psychologiques. Rien, dans la façon dont la plupart des filles sont éduquées, ne les encourage à croire en leur propre force, en leurs propres ressources, à cultiver et à valoriser l’autonomie. Elles sont poussées non seulement à considérer le couple et la famille comme les éléments essentiels de leur accomplissement personnel, mais aussi à se concevoir comme fragiles et démunies, et à rechercher la sécurité affective à tout prix, de sorte que leur admiration pour les figures d’aventurières intrépides restera purement théorique et sans effet sur leur propre vie.
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
17.3.19
16.3.19
Aujourd’hui, l’indépendance des femmes, même quand elle est possible juridiquement et matériellement, continue de susciter un scepticisme général. Leur lien avec un homme et des enfants, vécu sur le mode du don de soi, reste considéré comme le coeur de leur identité. La façon dont les filles sont élevées et socialisées leur apprend à redouter la solitude et laisse leurs facultés d’autonomie largement en friche.
Sorcières, La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2018
15.3.19
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