6.10.24

Comment expliquer, alors, que depuis qu’on a commencé à déconstruire tous ces réflexes, on soit si nombreuses à ressentir ce besoin de « sororité » qu’on entend partout ? Comment expliquer qu’on se sente mieux, physiquement et mentalement, quand on fréquente plus de nos semblables, plus de personnes minorités et marginalisées, quand on s’éloigne des hommes cisgenres ? Parce que aujourd’hui, quand je suis avec mes copines, même s’il nous arrive de critiquer d’autres personnes de notre entourage plus ou moins proche, pour des raisons plus ou moins valables, on y met beaucoup plus de nuances. Il y a beaucoup plus de conscience, derrière chaque critique il y a la même remise en question : pourquoi je pense ça aujourd’hui ? Pourquoi ce comportement me fait réagir comme ça ? Pourquoi je rejette cette personne qui, a priori, ne m’a jamais fait de mal ? Et systématiquement, on reconnaît nos biais, on fait la liste des raisons qui expliquent ces réactions épidermiques, et, sans se flageller, on prend toutes ces conclusions en considération pour éviter de tomber dans des pièges qui ont été tendus par ceux que ça arrange de nous voir ennemies et désolidarisées.

Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 159

Ils ne se rendent pas compte de la violence que c’est de subir toutes ces obligations à longueur de journée, de l’impact que ça finit par avoir sur nos esprits, sur notre santé mentale, sur notre rapport à nous et à l’autre, parce que au final il n’y a que le résultat qui les intéresse. Ils se foutent complètement de la façon dont on y arrive du moment qu’on y arrive, et si en prime on a la décence de donner l’impression qu’en plus d’être naturel c’est facile, alors là, on gagne le trophée de femme idéale. Comme des canards, ils s’attendent à ce qu’on glisse gracieusement à la surface sans que personne puisse voir nos petites pattes qui s’agitent frénétiquement sous l’eau pour nous propulser. 

Et bien sûr, bien sûr, tout ce cirque ne serait pas complet si je n’étais pas, en plus de tout ça, violemment en colère contre moi à la fois parce que je n’arrive pas à être cette femme parfaite mais aussi parce que je m’en veux de le vouloir encore. Je m’en veux de continuer à faire la roue pour des tocards qui ne savent même pas s’essuyer le cul correctement.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 154