29.12.24

Alors que dire, maintenant, quand on se permet d’émettre encore des doutes, de parler encore et toujours de nuances, de m’accuser de faire des généralités ? Que dire ? Eh bien, quand tu grandiras en entendant des histoires de viol, de viol en réunion, de drogues dans ton verre, de seringues dans ton cul, d’inceste, de viol conjugal, de tartes dans la gueule, de violences en continu, sans arrêt, en majorité concernant des victimes filles et femmes, tu pourras venir ouvrir ta gueule et me parler d’exagération. Quand toi-même tu auras accumulé un nombre ahurissant d’expériences teintées de toutes ces nuances-là, tu pourras venir poser l’argument des généralités sur la table.


Imagine te construire dans la menace constante de la violence, du viol, de l’agression, imagine avoir peur pour autre chose que ton portefeuille ou le cartilage de ton nez, imagine avoir peur tous les jours de toute ta vie que quelqu’un vienne un jour s’introduire en toi sans ton consentement, et éventuellement te tuer dans la foulée, imagine grandir au milieu de faits divers et de podcasts de true crime qui concernent dans 80% des cas des victimes féminines, imagine voir chaque année le recensement des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint reprendre à zéro et atteindre toujours la centaine. Chaque jour tu te prends ta mortalité dans la tronche, aux mains des autres, des hommes, chaque jour tu sais que ton corps est en danger, chaque jour tu sais que ton reflet n’est pas celui qu’il faut, chaque jour tu sens le regard des hommes sur cette apparence qui n’est source que de conflits et de paradoxes, chaque jour tu existes et tu ne sais jamais trop comment encaisser le poids de cette existence. C’est infernal, parce qu’il faut concilier tout ça avec ton envie de puissance et de fierté, il te faut trouver dans ta féminité quelque chose d’empouvoirant, comme on dit maintenant. Il faut lever le poing, bomber le torse, (et à nouveau, tu te dis « hmmm, attention, ne pas trop attirer l’attention sur mes seins »), et avancer fièrement, alors qu’un choeur te chante toutes tes tares et tes différences en continu, alors qu’on te décortique, qu’on remet ta parole en question dès que tu parles franchement, qu’on n’attache à tes émotions qu’une importance triviale et caricaturale. 


Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 166-167