Viande à viol.
C’est ce qu’un homme m’a dit en me croisant dans la rue il y a quelques heures.
Il ne faisait pas nuit, ce n’était pas dans une obscure ruelle qui sent la pisse, bien que ce genre de décor n’excuse rien.
Non, c’était en pleine après midi, sur un grand boulevard peuplé de piétons, entre deux platanes.
Comme ça.
Gratuit.
Gratuitement, il m’a bousculé.
Gratuitement, il s’est mis à rire.
Et gratuitement, il m’a jeté ce “viande à viol” en pleine tronche.
J’ai
un tempérament agressif. Je suis hargneuse et je me laisse rarement
faire. Au delà des mots que je peux rendre blessants, je sais aussi
viser une paire de couilles avec mon genou.
A une époque pas si
lointaine, je me bastonnais avec des hommes contre lesquels je n’avais
aucune chance juste pour dire “je ne suis pas d’accord, arrête de
parler, prend ça dans la gueule et assume”.
Là je n’ai rien pu faire.
Je n’ai rien dit. Je l’ai laissé s’éloigner, mort de rire.
J’ai
placé ma main sur mon ventre, crispé. J’ai eu un goût étrange dans la
bouche, comme de la bile. Je ne pouvais pas lâcher mon ventre, sensation
d’avoir pris un coup.
Il me restait environ 600 mètres à faire pour atteindre le magasin, j’ai mis 20 minutes.
J’ai terminé mon après midi en essayant de faire comme si de rien n’était.
Comme si c’était anodin.
Comme si c’était une autre insulte parmi toutes les autres insultes que l’on entend régulièrement.
Je
suis allée boire un verre avec mon ancien patron et une amie. Quand on
lui a annoncé que ce genre de réflexions, de comportements odieux
pouvaient arriver deux ou trois fois par semaine, il est tombé des nues.
Pour lui, c’est impensable. Il ne remet à aucun moment notre parole en
doute mais il n’imagine pas.
Parce qu’il n’est pas comme ces gens. Parce qu’il a la notion du bien et du mal. Parce qu’il a assimilé la notion de respect.
Parce que ce n’est pas un connard.
En
rentrant chez moi, j’avais toujours mal au ventre. Même après avoir eu
mon compagnon au téléphone, je me sentais encore merdique.
J’ai beaucoup pleuré. Je ne pleure pas tellement d’habitude.
C’est grave. Cette phrase a eu un impact psychologique et physique grave.
Je me rends compte que nous nous formons des carapaces contre des insultes devenues quasiment pain quotidien.
Je
suis devenue hermétique aux “hey, t’es bonne, tu m’suces ?”, aux
“salope, file moi ton tel putain !” et aux “chienne !”. C’est devenu
“normal”.
Mais quand un de ces malades trouve une nouvelle formule, la carapace se fendille et les horreurs s’infiltrent.
Ça
dégouline, sur nos corps, dans nos têtes. Ça pénètre dans tous les
interstices, ça coule le long de notre cerveau, de notre cœur, dans nos
ventres, au fond de nos entrailles.
Je ne me suis pas sentie qu’insultée. Je me suis sentie tailladée.
L’impact
de ses quelques mots est inimaginable. Il remet en cause énormément de
choses. Je me demande où va ce putain de pays. Où va ce monde.
Je me
demande à quel moment, dans la vie de cet homme, l’idée de traiter une
femme inconnue avec tant de haine est-elle née ? Que s’est-il passé ?
J’insiste sur le mot impact.
Vos mots ne sont pas gratuits. Vos mots coûtent cher, très cher.
Ces quelques lettres m’ont pourrie toute la journée, et je sais qu’elles seront toujours là à mon réveil.
Elles ont remis en doute beaucoup de choses sur ce monde, certes, mais surtout sur moi même.
Je
me suis questionnée sur ma tenue, chose que je ne fais jamais car
j’assume entièrement mes choix vestimentaires. J’assume toujours ce que
je porte et les inconnus ne dictent pas la taille de mon short.
Mais là, je me suis demandée si ce n’était pas ma faute.
La violence de ces mots est là. Je me suis demandée si je ne l’avais pas cherché.
Je suis la victime mais je cherche à me couler.
Comme
toutes ses femmes victimes d’agressions sexuelles et de viols qui
pensent que peut être c’est leur faute. Que peut être si elles n’avaient
pas bu autant, ou que leur décolleté était moins plongeant, ce ne
serait pas arrivé.
J’ai honte. Honte d’avoir pensé ça.
Ma tenue n’est pas une excuse.
Mon degrés d’alcoolémie n’est pas une excuse.
Mon passage dans cette ruelle a 3h du matin n’est pas une excuse.
Mon refus n’est pas une excuse.
TU N’AS AUCUNE EXCUSE, CONNARD.
source : morphinisme