16.1.25

9.1.25

4.1.25

Et quand on se quitte, nos dernières paroles sont toujours « Vous envoyez un message dans la conversation quand vous êtes bien arrivées, hein ! » et on dit toutes oui sans broncher, et on le fait toutes sans faute en rentrant, et on ne se couche pas tant que tout le monde n’a pas répondu à l’appel, chacune en sécurité derrière sa porte verrouillée. Vraiment trop marrant.



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 179

La pression est permanente et de plus en plus insupportable pour une femme, encore plus lorsqu’elle se retrouve forcée d’écouter sa peur plus que sa colère. Parce qu’on a beau avoir du feu plein la gorge, on ne peut décemment pas le cracher chaque fois qu’on en ressent l’envie irrépressible. Ce sont ces mains posées sur nos corps sous des prétextes amicaux, parce qu’ils sont « tactiles » alors qu’on a rien demandé et que l’idée même de sentir le contact de leur peau plus d’une seconde nous dégoûte et nous met profondément mal à l’aise. C’est quand on sourit, qu’on rit même aux éclats parfois, pour ne pas dire ce qu’on pense réellement parce qu’on ne sait pas comment ils risquent de réagir. C’est quand on s’invente d’autres figures masculines dominantes pour justifier le refus de lâcher notre 06 ou de venir prendre un verre. Ce sont ces discours pétris de rires nerveux et d’excuses, les jambes tendues et serrées, prêtes à partir au quart de tour, le regard doux et suppliant, qui crie « laisse-moi partir », mais qui ne suffit jamais, alors on parle, on parle, on parle, en attendant qu’enfin le squale lâche sa prise. 


« Hahaha non mais je suis pas intéressée j’ai un copain désolée haha, oui il me convient, oui je suis sûre, non il me trompe pas, hahaha, oh je sais pas, mais moi je l’aime haha, non mais merci vraiment, c’est très gentil, merci beaucoup, haha, merci, il m’attend là, il faut je rentre, oui haha c’est moi qui cuisine, hahaha, euh oui une prochaine fois peut-être haha, merci, au revoir, oui, merci, d’accord, haha, oui, au revoir, allez j’y vais, haha, merci, j’entend plus, désolée ! »  


Et marcher vite, vite, vite, et caler ses clés dans sa main, regarder dans les reflets, dans les rétros, chercher du regard qui pourrait nous venir en aide si ça devait dégénérer, encore et encore et encore, dès qu’on fout un pied dehors.  



Vénère. Être une femme en colère dans un monde d’hommes, Taous Merakchi, 2022, p. 172-173